Entre recueillement et disputes, entre rites ancestraux et réalités modernes, perdre un proche n’est jamais seulement une affaire d’émotion : c’est aussi une épreuve sociale et culturelle.

C’est cette complexité que met en lumière la pièce Entre-Deux, jouée ce vendredi soir à Atakpamé. Avec une mise en scène poignante et des dialogues ciselés, elle plonge le spectateur dans les tensions qui émergent après un décès : qui prend les décisions ? À qui revient l’héritage ? Quelles traditions doivent être respectées, et à quel prix ?

Des pratiques comme le lévirat – cette coutume qui oblige une veuve à épouser un membre de la famille de son défunt mari – ou encore les conflits liés aux biens du défunt sont abordés sans détour. Plus qu’un spectacle, Entre-Deux est un miroir tendu à la société, un cri contre les injustices et une invitation à réfléchir sur nos coutumes et leur place dans le monde d’aujourd’hui.

Dès les premières scènes, le public d’Atakpamé a été captivé. Portée par la plume affûtée de Jeannine Bessoga, la pièce prend vie sous la direction soignée de Gbènakpon Todego, sublimée par un travail minutieux sur le son et la lumière signé Fortuné Atchoro. Sur scène, les comédiens Yawa Denyo Sophie, Gavlo Claude, Kossi Ayéna et Charles Aménou incarnent avec une justesse bouleversante des personnages pris entre souffrance, injustice et quête d’un avenir meilleur.

Le spectacle ne se contente pas d’exposer des faits : il les fait ressentir. Les silences lourds, les cris de détresse, les éclats de rire amers… tout est pensé pour faire réagir. Et le public ne s’y est pas trompé.

Pour Gildas, jeune spectateur à Atakpamé, cette pièce a été une véritable révélation :

"J’ai retrouvé dans cette histoire des fragments de mon propre vécu. Le décès d’un proche ne signifie pas seulement pleurer et enterrer, mais aussi gérer des tensions, des conflits d’héritage, des traditions parfois pesantes. Ce spectacle met des mots sur des réalités que beaucoup préfèrent ignorer."

Quant à Fabienne Vuilleumier, expatriée vivant au Togo, elle voit en Entre-Deux une œuvre essentielle :

"Le théâtre est un outil de sensibilisation puissant. Cette pièce nous pousse à nous interroger sur notre rapport au deuil et aux coutumes. Je pense qu’elle devrait être jouée dans les universités et centres culturels du pays."

Pour Ameyo Anyigbanua, directrice artistique de la maison Ilewa Atakpamé, le théâtre doit aller au-delà du divertissement :

"Dans un monde en constante mutation, le théâtre doit être un espace de réflexion et de transformation. 'Entre-Deux' ne se contente pas de raconter une histoire, elle bouscule, elle interpelle, elle nous pousse à repenser certaines pratiques ancrées dans nos sociétés. Aujourd’hui, au Togo, nous avons besoin d’un théâtre qui parle aux citoyens, qui questionne et qui ouvre des perspectives.

Présent à la représentation, le représentant du Directeur Régional des Arts et de la Culture, M. Agbéti, a souligné l’importance du théâtre dans la préservation et l’évolution des valeurs culturelles togolaises :

"Le théâtre est un puissant vecteur d’éducation et de sensibilisation. À travers cette pièce, nous constatons comment l’art peut aider nos communautés à mieux comprendre et appréhender leurs propres réalités sociales. Le ministère de la Culture continuera à soutenir ces initiatives qui contribuent au rayonnement de nos talents locaux et à l’éveil des consciences."

Encouragée par l’impact de la pièce à Atakpamé, la troupe Atakpamé Iléwa envisage d’étendre la tournée à plusieurs villes du Togo, avec le soutien de La Fabrique de Fictions et de l’Institut Français du Togo. L’objectif est de rendre le théâtre accessible à tous et encourager la création d’œuvres inspirées des réalités togolaises.

Après Gléi, chef-lieu de la commune Ogou 3, la pièce a fait escale à Anié, le vendredi 07 mars 2025, où elle a touché environ 150 spectateurs. Particularité de cette représentation : un public majoritairement composé d’enfants, preuve que le théâtre, même dans les milieux reculés, peut former avec le temps un public fidèle et grandissant.

Entre-Deux ne se limite pas à une performance artistique. Elle ouvre un débat essentiel sur le poids des traditions et les dynamiques familiales face à la mort. À travers une mise en scène percutante et des dialogues ciselés, elle rappelle que le théâtre, plus que jamais, est un outil de conscience sociale.

Jean-Marc EDRON