Présente au Choiseul Africa Summit à Abidjan, Meinna Gwet, la Directrice du Groupe des financements structurés chez Ecobank Transnational Incorporated (ETI), a partagé avec l’Agence Ecofin la vision du groupe panafricain en matière de financement du développement industriel.
Elle revient notamment sur les mécanismes de financement structurés adaptés aux besoins du secteur privé, le rôle des partenariats publics-privés, les opportunités dans des secteurs clés comme l’agro-industrie ou l’énergie, ainsi que les leviers pour stimuler les chaînes de valeur locales à travers une meilleure mobilisation des ressources.
Agence Ecofin : Bonjour Mme Meinna Gwet. La stratégie « Croissance, Transformation et Rendements » d’Ecobank repose sur la priorité client et l’innovation numérique. Comment guide-t-elle votre approche du financement industriel en Afrique de l’Ouest, dans un contexte où la transformation structurelle du continent fait face à un déficit annuel de 402 milliards USD ?
Meinna Gwet : Merci pour la question. Cette stratégie influence notre approche de financement à travers trois volets majeurs. D’abord, la croissance : cela signifie l’augmentation de notre portefeuille de prêts et l’amélioration de sa rentabilité. Nous cherchons donc à identifier et financer le plus grand nombre possible de projets bancables, notamment dans des secteurs industriels clés comme la métallurgie, la plasturgie, la transformation agroalimentaire ou l’énergie.
Nous avons identifié des filières prioritaires et développons progressivement des desks sectoriels, c’est-à-dire, des guichets de financement sectoriels. Cela nous permet d’avoir une approche commerciale plus ciblée, plus ambitieuse, et de renforcer notre expertise technique interne pour mieux comprendre les réalités et les modèles d’affaires de chaque secteur.
Ensuite, la transformation : nous mettons en œuvre des mesures concrètes pour améliorer notre efficacité opérationnelle, notamment dans le traitement des dossiers de crédit, afin de répondre plus rapidement aux besoins de financement de nos clients.
Agence Ecofin : Votre récent partenariat avec Google Cloud vise à accélérer l’inclusion financière et l’innovation, notamment pour les PME. Comment l’exploitez-vous pour améliorer l’accès à un financement abordable et à long terme pour les PME industrielles en Afrique de l’Ouest ?
Meinna Gwet : Ce partenariat se décline en trois axes principaux. D’abord, la digitalisation des services. Grâce à Google Cloud, nous renforçons nos capacités d’analyse de données et de scoring de crédit, ce qui nous permet d’évaluer plus finement les PME et de concevoir des solutions de financement mieux adaptées à leurs besoins.
Deuxièmement, la réduction des coûts et l’automatisation. La modernisation de nos infrastructures et l’automatisation de nos processus nous permettent d’optimiser nos coûts et de proposer des services plus accessibles, rapides et compétitifs, y compris dans les zones moins bien desservies.
Enfin, nous voulons élargir notre écosystème FinTech. Le partenariat facilite l’intégration d’applications tierces via des API sécurisées et permet à nos partenaires de proposer des solutions innovantes complémentaires à notre offre, renforçant ainsi la pertinence de nos services pour les PME industrielles.
Il convient aussi de souligner que, dans le domaine des technologies et télécoms, nous finançons activement des projets liés à l’extension des réseaux 3G, 4G, 5G, la construction ou l’acquisition de tours télécoms, et le développement de data centers ou d’infrastructures en fibre optique. Nous avons un intérêt croissant pour ces domaines.
Agence Ecofin : Comment votre groupe intègre-t-il les considérations ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, etc.) dans ses décisions de financement pour les projets industriels à travers l’Afrique, dans un contexte où les financements durables sont de plus en plus en vue pour les projets sur le continent ?
Meinna Gwet : Nous accordons une grande importance au financement durable. Cela se traduit par plusieurs initiatives. Par exemple, nous avons lancé le programme ELLEVER pour soutenir les entreprises dirigées par des femmes, avec un Gender Bond de 10 milliards FCFA levé cette année à cette fin.
Nous finançons également des projets à fort impact comme des centrales solaires photovoltaïques, des usines pharmaceutiques, notamment le financement de l’usine pharmaceutique SI2P en Côte d’Ivoire, ou encore des projets de décarbonation industrielle, comme celui mené avec la cimenterie Sococim au Sénégal.
Au-delà du financement, nous sensibilisons activement les porteurs de projets à l’intégration de critères ESG dans leurs modèles. Nous les conseillons en amont et avons intégré l’évaluation des risques environnementaux et sociaux dans notre processus d’octroi de crédit, ce qui nous permet de suivre ces enjeux tout au long de la vie du prêt.
Agence Ecofin : Face à la hausse des coûts d’emprunt, à l’inflation et à l’instabilité politique, quels sont les modèles de financement innovants que vous déployez pour soutenir les projets industriels ?
Meinna Gwet : Nous misons fortement sur les partenariats avec des institutions de financement du développement et des agences multilatérales, qui permettent de structurer des cofinancements ou des mécanismes de partage des risques. Cela nous aide à proposer des prêts à des taux plus accessibles pour les projets stratégiques, notamment ceux à impact environnemental positif.
Nous collaborons aussi avec des agences de garantie ou d’assurance-crédit pour couvrir les risques liés à des projets complexes ou à longues phases de construction, notamment dans les industries naissantes. Cela nous permet de mieux maîtriser les risques et d’élargir notre appétit pour ces projets.
En ce qui concerne les risques liés aux fluctuations monétaires, nous proposons des instruments de couverture adaptés aux entreprises qui opèrent en devises multiples. Par ailleurs, notre réseau panafricain nous permet de mobiliser le bilan de différentes filiales pour accompagner des champions régionaux présents dans différents pays.
Agence Ecofin : Plusieurs États, comme le Bénin, le Rwanda ou le Sénégal, investissent dans des parcs industriels. Quel regard portez-vous sur ces politiques et réformes pour favoriser l’industrialisation ?
Meinna Gwet : Nous saluons les avancées, même si des marges de progrès subsistent.
Nous collaborons activement avec les États, banques centrales et autres acteurs pour réfléchir à des mesures de défiscalisation ou de réduction de charges fiscales sur les activités industrielles, et à des stratégies douanières favorables aux producteurs locaux. Ce, afin de migrer d'un modèle économique où l’on exporte des matières premières et importe les produits finis, vers des systèmes où on produit et transforme localement des produits à forte valeur ajoutée.
Nous soutenons aussi la création de véhicules d’investissement spécifiques, permettant à des investisseurs institutionnels (fonds de retraite, compagnies d’assurance) de s’impliquer dans le secteur industriel. Ce type de capital, plus patient, serait complémentaire à notre offre bancaire.
Agence Ecofin : La performance financière d’Ecobank en 2024 vous offre de nouvelles marges de manœuvre. Comment priorisez-vous vos investissements dans les secteurs comme les TIC et les services numériques, et quels résultats visez-vous en Afrique de l’Ouest ?
Meinna Gwet : Nous avons un fort intérêt pour les secteurs à fort potentiel comme la transformation agroalimentaire, la cimenterie, la métallurgie, la sidérurgie, ou encore l’industrie pharmaceutique. Nous avons déjà octroyé un premier prêt dans ce dernier secteur, que nous souhaitons répliquer.
Notre objectif est de doubler la performance de notre portefeuille de financement industriel d’ici 5 ans. Cela nécessite une stratégie commerciale plus offensive.
Nous sommes également actifs dans les industries minières – par exemple avec le financement de la mine Lafigué en Côte d’Ivoire, un projet inédit à financement local – et dans les infrastructures industrielles, comme les parcs d’Adétikopé au Togo et de Glo-Djigbé au Bénin. Nous avons aussi soutenu des unités de production d’huile de palme, de coton, ou encore des entreprises de biens de consommation notamment dans les secteurs cosmétique, sanitaire ou même des brasseries.
Notre objectif est de doubler la performance de notre portefeuille de financement industriel d’ici cinq ans. Cela nécessite une stratégie commerciale plus offensive, une meilleure structuration des financements et l’élargissement de nos guichets sectoriels au-delà de l’agriculture et des mines.
Agence Ecofin : Quelle place accordez-vous au financement à long terme, et comment adaptez-vous vos offres aux besoins des industries locales ?
Meinna Gwet : Le financement à long terme est essentiel pour le développement industriel. Nous accompagnons nos clients pour leurs besoins récurrents, notamment en fonds de roulement via des lignes d’exploitation. Les volumes de ces besoins augmentent et nous obligent à nous adapter constamment.
Nous développons également des solutions long terme plus sophistiquées pour permettre la construction d’usines, l’acquisition d’équipements industriels, la mise en place de nouvelles unités de production ou encore des projets de décarbonation. Plusieurs projets pilotes ont déjà été menés avec succès.
Nous complétons ces efforts par un accompagnement stratégique. De nombreuses entreprises locales ont aujourd’hui des ambitions d’intégration verticale ou d’expansion régionale. Grâce à notre réseau dans 33 pays africains, 5 bureaux internationaux et une banque à Paris, nous sommes bien placés pour les soutenir à l’échelle régionale et continentale.
Propos recueillis par Moutiou Nourou









