Elle s’est érigée grâce à ses nombreuses années de défis, d’expériences politiques et sociales en une icône incontournable de l’excellence. Professeure, universitaire, écrivaine, littéraire, députée et femme engagée dans le social, Germaine Kouméalo ANATE est spécialiste en sciences de l’information et de la communication et intervient dans les universités publiques et privées du Togo.
Dans cette interview très dense accordée à Ekinamag, l’ancienne ministre de la Communication de la Culture, des Arts et de la Formation Civique parle de son parcours professionnel, les différentes initiatives à son actif, sa bibliographie, ses occupations…Lecture !
S’il vous plait présentez-vous à nos lecteurs
Je suis professeure Kouméalo ANATE, universitaire, littéraire, parlementaire et femme engagée dans le social. Spécialiste en sciences de l’information et de la communication, j’interviens dans les universités publiques et privées du Togo. Je préside actuellement l’Association des Ecrivains du Togo (AET) et l’Association Cœur solidaire.
Parlez-nous de votre cursus universitaire
En termes de formation, je me considère comme polyvalente et cela constitue un atout aujourd’hui pour mes différents engagements socioprofessionnels.
En effet, après mon Baccalauréat A4 en 1988, je me suis inscrite à l’université du Bénin (actuelle université de Lomé), de 1988 à 1993 où j’ai obtenu une double licence en Lettres Modernes et en Sciences de l’éducation (1991), puis une maitrise en Lettres Modernes (1993). De 1994 à 1995, j’ai préparé et obtenu un diplôme universitaire de recherches en sciences de l’information et de la communication (DUR) à l’université Michel de Montaigne – Bordeaux3, en France. Dans cette même université, j’ai poursuivi les études du troisième cycle sanctionnées d’abord par un diplôme d’études approfondies (DEA) en sciences de l’information et de la communication, ensuite par un doctorat unique dans la même discipline, avec une thèse soutenue en décembre 2004.
Que peut-on retenir de votre parcours professionnel ?
J’ai un parcours professionnel très riche et varié. Pour résumer, je suis enseignant-chercheur à l’université de Lomé depuis 2007. A ce titre, outre les cours, j’encadre les travaux de recherche des étudiants en master et doctorat. De plus, je suis responsable du parcours master et je dirige le centre d’études et de recherches sur les organisations, la communication et l’éducation (CEROCE) à l’université de Lomé.
Parallèlement, je siège, depuis 2019, comme députée à l’Assemblée du Togo et occupe le poste de 1er rapporteur de la Commission Education et Développement socioculturel.
Dans un passé récent, j’ai été directrice de l’Institut des Sciences de l’Information de la Communication et des Arts (ISICA) à Université de Lomé ; Directrice de cabinet du ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ; Ministre de la communication, de la culture, des arts et de la formation civique.
Vous avez des initiatives à votre actif, parlez-nous de quelques-unes
J’entreprends dans tous les domaines auxquels je m’intéresse donc c’est difficile de répondre à votre question en quelques phrases. De manière succincte, il faut noter que sur le plan universitaire, j’organise beaucoup de manifestations scientifiques (colloques et séminaires), des études donnant lieu à des publications d’ouvrages collectifs sur des sujets d’intérêt général comme L’ethnicité et crises sociopolitiques au Togo (2016), Les enjeux socio-communicationnels du vivre ensemble (2020), Les médias au Togo : histoire, réglementation et usages (2020). Sur le plan associatif également j’initie des activités au profit des jeunes, des filles et des femmes. Par exemple des actions de soutien aux élèves orphelins ; le projet intitulé Excellence au féminin (formation des filles en leadership, entreprenariat et prise de parole en public) démarré depuis 2019 et d’autres projets de lutte contre les violences basées sur le genre dont le Forum des femmes pour plus de protection de la femme et de l’enfant, le Café-genre.
Revenons un peu sur votre nomination en 2013, à la tête du Ministère de la Communication de la Culture, des Arts et de la Formation Civique. Vous étiez à l’époque surprise de cette nomination ?
J’avoue que j’ai été très surprise par cette nomination car j’étais loin de m’imaginer que cela pouvait m’arriver. A l’époque j’étais assez éloignée de la sphère politique et de plus, cela faisait un an seulement que j’avais accepté le poste de directrice de cabinet du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cependant, ce fut une belle opportunité pour moi de faire l’expérience d’un poste de décision à un si haut niveau. De là est né mon désir de m’engager en politique pour apporter davantage ma contribution à la construction de l’édifice national. Mon passage au gouvernement m’a permis de « démystifier » la politique, de conforter la vision que j’aie du service attendu de ceux qui occupent les hautes fonctions administratives et politiques.
Parlez-nous de votre passion pour l’écriture et de quelques œuvres de votre bibliographie
J’ai commencé à écrire depuis le collège. J’écrivais surtout pour moi-même. J’avais un rapport très spécial avec l’écriture et avec la lecture. Ces pratiques m’ont aidée à grandir et à affronter le monde hostile dans lequel j’évoluais. Mais c’est à l’université que j’ai commencé à rendre publics mes textes en participant à des concours de poésie notamment. En 1990 j’ai eu le deuxième prix du concours national de poésie au Togo, en 1994 le 1er prix du concours régional organisé par ONU FEMME-Dakar, pour l’Afrique de l’Ouest, dans le cadre des préparatifs de la Conférence de Beijing sur les femmes. Il a fallu attendre 2004 pour commencer à publier. Ainsi, j’ai six publications à ce jour :
- Frontières du jour,recueil de nouvelles. Ana Editions, Bordeaux
- Le Regard de la source, roman, Ana Editions, Bordeaux 2005.
- L’écrit du silence, poésie. Les Belles pages, Marseille 2006.
- Souffle court, poésie, Graines de pensée, Lomé, 2012.
- Là où je ne suis pas, poésie, éditions Awoudy, Lomé, 2016.
- Si tu savais, poésie, éditions SPROH, Lomé, 2021
Quelles sont les plus grands succès que vous avez obtenus dans vos diverses missions ?
Par rapport à mes différentes casquettes les missions sont multiples et variées. Dans beaucoup de cas, je peux dire que je suis sur des chantiers dont l’achèvement demande beaucoup de temps. Alors, je ne sais pas s’il faut parler de succès. Ce serait prétentieux de ma part. Je peux juste m’appuyer sur des parcours d’étapes et constater des avancées ou des choses positives qui ont changé des vies. En réalité, c’est aux autres qui me suivent ou qui en bénéficient de relever cela.
Pour ma part, je me sens utile chaque fois que mes initiatives ont pu faire reculer une injustice, chaque fois qu’un(e) jeune (fille ou garçon) me dit avoir trouvé son chemin ou qu’il a pu s’accomplir grâce à ce que j’ai essayé de lui apporter dans l’exercice de mes différentes fonctions.
Qu’est-ce que c’est d’être une femme parlementaire ?
A priori être député, c’est une fonction qui n’est pas liée au sexe. Donc lorsqu’il s’agit de remplir nos missions parlementaires, la femme a les mêmes prérogatives que l’homme et elle remplit sa mission avec compétence et sans complexe. C’est ce qui m’a été donné de constater dans la législature actuelle où je suis. Il faut souligner le fait que les femmes qui arrivent à ce niveau n’y parviennent pas par hasard. Elles ont des parcours qui les y préparent. Cependant, lorsque que nous abordons certains sujets liés au genre par exemple, nous constatons généralement que les députées femmes sont plus sensibles à certains aspects qui échappent à des députés hommes. Nous mesurons alors la responsabilité que nous avons en tant que députées femmes de protéger les acquis en matière des droits des femmes et de continuer le combat pour engranger d’autres avancées sur cette question de droits, car le chemin vers l’égalité est encore long malgré les progrès notoires dans notre pays.
Au regard de votre riche palmarès, comment vous définiriez vous ?
Tout simplement, je suis une servante de la nation et de mes concitoyens. Que ce soit dans ma fonction d’enseignante, de chercheure, de politique ou de militante associative, le maitre mot qui me pousse à agir, c’est SERVIR, tout en reconnaissant bien sûr mes limites.
Avez-vous eu une vie d’enfance qui vous prédestinait à devenir la grande femme leader que vous êtes aujourd’hui ? Ou êtes-vous battu vous-mêmes pour être à ce niveau ?
Mes origines modestes, mon enfance et tout mon parcours scolaire difficile à bien des moments, aux yeux du monde, ne pouvait pas laisser présager ce que je suis aujourd’hui. Je suis née d’un père agriculteur et d’une maman commerçante qui ne sont pas allés à l’école. Ensuite, suite à une crise papa a eu une hémiplégie et maman a dû arrêter son commerce pour s’occuper de lui pendant plus de douze ans.
Heureusement ils m’ont inculquée très tôt de bonnes valeurs qui m’ont aidée à me construire et à être ce que je suis devenue : le sens de l’effort et du travail bien fait, la confiance en soi, chercher à être autonome, gérer l’adversité et par-dessus tout, l’amour et la générosité. Certes, j’ai dû quitter mes parents à l’âge de neuf ans et la vie m’a fait très peu de cadeaux comme on le dit souvent. Pourtant, j’ai toujours réussi à atteindre mes objectifs malgré les difficultés, grâce aux bases solides reçues de mes parents à qui je rends hommage, mais je dois aussi ces succès au fait que j’étais une battante, déterminée à réussir. A chaque étape de ma vie et de ma scolarité j’ai dû donc me battre pour gagner tout ce que j’ai obtenu et j’en suis fière aujourd’hui.
Quand on scrolle un peu votre page facebook ; on voit que vous postez souvent des affiches et informations par rapport aux questions des droits de la femme. Mme Anaté, est-elle féministe ? Pourquoi selon vous, il est important de lutter pour l’égalité et la promotion des droits de la femme ?
Je me bats pour les droits humains et pour la justice. Il se trouve que les femmes ont vu leurs droits brimés de tous temps et dans toutes les sociétés, c’est peut-être pour cela que j’accentue davantage mon combat aujourd’hui sur les droits des femmes. Je le fais avec conviction car pour moi, reconnaitre que les hommes et des femmes ont les mêmes droits et laisser chacun occuper pleinement sa place dans la société ne devrait pas être un combat ni une option. Cette prise de conscience qui doit être partagée par les hommes et les femmes est absolument indispensable car, il s’agit en réalité de l’équilibre et de la survie même de nos sociétés.
J’ai parfois l’impression que les sociétés africaines en l’occurrence sont des sociétés schizophrènes : en même temps qu’il est donné de découvrir un imaginaire et des mythes de ces sociétés qui célèbrent l’importance incontestable de la femme sur tous les plans, au même moment on relève des pratiques socioculturelles très enracinées qui dénient à la femme ses droits, la marginalisent et lui infligent des violences de toutes sortes. Or, pour moi, on ne peut valablement promouvoir la paix, le bonheur et le développement durable dans un pays si l’égalité genre n’est pas une priorité, si les droits des femmes ne sont pas respectés. Il faut être cohérent.
Mais au regard des différentes pesanteurs, je sais que le combat risque d’être encore très long, à moins d’une révolution. Pour que chaque femme retrouve sa dignité et son identité de partenaire égale de l’homme, il faut trouver le moyen d’accélérer l’atteinte de l’égalité genre qui implique le respect des droits des femmes. Pour ce faire, un déclic général est nécessaire dans les consciences de tous, hommes et femmes ; une dynamique à tous les niveaux doit être créée et entretenue afin de provoquer une transformation en profondeur de nos sociétés. Cela suppose du coup de sérieuses ruptures au niveau intellectuel, comportemental et sociétal. Disons-le sans peur, il nous faut une révolution culturelle voire civilisationnelle.
Entre vos occupations, initiatives et missions, comment vous vous organisez pour être aussi active et dynamique ? Et comment vous faites pour surmonter les difficultés ?
Il est vrai que pour accomplir de multiples tâches, on doit bien les planifier quand cela possible. Mais il y a des domaines comme la politique où les imprévus sont très nombreux, alors j’ai appris aussi à les gérer.
Pour ce qui est de mes divers engagements, il est important de dire que la plupart du temps, je suis en harmonie avec tout ce que j’entreprends. Je tiens à cette cohérence interne car c’est très important d’éviter d’être tirailler ou d’avoir l’impression de forcer les choses. Tout ce que je fais est complémentaire et chaque position que j’occupe me donne l’opportunité de réaliser un pan de ma vision. Je vis cela comme une vraie chance !
Par ailleurs, la paix intérieure, doublée du sens du devoir et ou du sentiment de service rendu est un moteur extraordinaire pour soulever les montagnes.
Les difficultés sont des épreuves qui se dressent naturellement, même si elles sont provoquées par autrui. Elles ne me font pas peur. J’essaie de trouver des solutions ou le moyen de continuer à avancer malgré les obstacles. S’arrêter ou abandonner n’est pas dans mes options. J’ai pris conscience très jeune que ma vie n’est pas un hasard et que les épreuves sont là pour me faire grandir et me rendre plus forte. J’essaie aussi d’identifier les bons alliés qui peuvent me soutenir dans ce que je fais. Parmi ces alliés, il y a bien sûr les membres de ma famille avec lesquels je partage mes passions et il y a toutes les bonnes personnes que le Seigneur met sur ma route.
Vous êtes un grand modèle ; quel message aux jeunes filles qui veulent emboiter vos pas ?
S’il faut partager un message, j’aimerais attirer l’attention de ces filles sur 5 ou 6 points qui me semblent importants : il est fondamental qu’elles aient de l’ambition pour elles-mêmes. Notre éducation fait que beaucoup de femmes croient que c’est mal de rêver pour soi, de rêver même grand et de se battre pour que cela se réalise. Rêver est un droit qui n’est pas l’apanage des hommes. Ensuite, soyez déterminées et persévérantes, en cherchant à accomplir tout ce que vous faites de la meilleure façon possible. Soyez conscientes que vous êtes importantes et que vous êtes capables d’accomplir des choses merveilleuses pour vous et pour les autres. Ne laisser personne ni aucune circonstance vous dire le contraire. Ne baisser donc jamais les bras : quelles que soient les épreuves du chemin, vous devez explorer d’autres possibilités pour continuer car ne pas avancer c’est mourir. Faites aussi attention aux mirages du chemin : la facilité trompeuse et les illusions de tout genre. Enfin, sachez que personne ne vous donnera votre place, elle est là et vous attend. A vous donc de la prendre et de l’occuper du mieux possible, en n’ayez pas peur des erreurs, ce sont des leçons de la vie nécessaires pour continuer à croître et à mûrir.
Propos recueillis par Ida Badjo
Source: ekinamag.com